Ma mère m'a dit cette chose très belle. Je te vois dans tous tes âges : quand j'étais enceinte de toi, et bébé, et petite fille, et adolescente, et jeune femme, et aujourd'hui. Et je t'aime dans toute ton épaisseur.
Cette phrase m'a réparée. C'est à partir de cette phrase que j'ai senti qu'elle était redevenue ma maman - depuis qu'à 17, 18 ans j'ai manifesté la volonté d'accéder à la sexualité, j'ai eu l'impression qu'elle avait cessé de l'être.
Mes filles à moi sont toutes les deux adolescentes, mais nous ne sommes pas encore séparées par ce fait-là qui m'a séparée de ma mère. Je les souhaite heureuses sur tous les plans, et en même temps je redoute ce couperet, ce couteau allais-je écrire, et à la fois, quand il viendra, je sais aussi qu'une fille ne se sépare jamais complètement de sa mère. Quand elle le fait, c'est momentané. Cela me terrifie d'écrire cela, de le penser, j'avais acheté le livre Mère, libérez vos filles mais n'ai pu venir à bout de sa lecture. Certains livres, certains films, certaines réalités me brûlent et je ne suis pas capable d'aller au bout.
Mes filles vont quitter la maison. Mais aujourd'hui elles sont toujours là ! Je les gâte, je les soigne, je les nourris, je les écoute. Je les masse à l'huile essentielle de lavande, je fais couler leur bain, je leur épluche des carottes, je leur prépare des citrons pressés, je vais les chercher chez leurs copines, à leurs activités, on promène le chien ensemble, on regarde des séries, on débriefe. Nous passions ensemble chaque jour entre 5 minutes et 3 heures.
Aujourd'hui c'est rose, on papote, on est joyeuses, on goûte ensemble, on marche côte à côte. Y'a d'autres jours où les portes claquent, et d'autres où j'ai l'impression de vivre avec une ou deux étrangères. Mais j'ai parfois cette impression d'étrangeté avec leur père, et avec moi-même ! L'intimité demande du temps, quelque soit l'âge, quelque soit la personne. Il y a cette phrase de Montaigne que j'aime tant, citée par Anne Pingeot au début du recueil des lettres que lui a écrites François Mitterand : "Qui me demanderait la première partie en l'amour, je répondrais que c'est savoir prendre le temps ; la seconde de même et encore la tierce : c'est un point qui peut tout."
Donc je m'applique à prendre du temps pour mes deux aimées, autant que pour leur père, et pour moi ; je tente d'être là quand c'est important pour elles - et aussi je retrouve du temps pour moi, je sors plus qu'avant le soir, nous profitons de leur présence et nous préparons à l'envol. Même si cela me semble illusoire de vouloir être prête. Je les renifle et les câline et les soigne et leur file des biffetons quand elles vont déjeuner avec leurs copines, ou pour acheter des fringues, et pour la suite, on verra bien.
Et puis il y a cette histoire de la confiance. Nico et moi sommes vigilants à essayer de voir que tout va bien, et tant que tout va bien on les laisse complètement libres, on contrôle très peu leurs sorties, ou ce qu'elles nous disent. Si jamais ça devait se corser - on verra bien comment on réagit. Mais dans la concertation, lui et moi, puis avec elles.
Je suis heureuse de ne pas élever mes enfants seule. D'abord il y a Nico, et puis il y a nos quatre parents qui nous donnent des coups de main, des conseils parfois. Et puis il y a les livres de Françoise Dolto qui dit que tout est langage, et d'Isabelle Filiozat qui dit que la chose la plus importante c'est de se rappeler à quel point on aime notre enfant, et de le lui faire savoir en toutes circonstances (même et surtout quand c'est dur). J'ai lu je ne sais plus où d'autre que notre boulot de parent d'ado, c'était d'encaisser les coups dans le buffet dans montrer à l'enfant qu'il nous blessait - Nicolas m'aide à encaisser quand l'une ou l'autre m'envoie chier, il me console, il m'aide à me calmer quand je vais trop loin.
La chose qui est dure pour moi en ce moment, enfin dure, oui, quand même, c'est d'accepter la réalité de les voir devenir des jeunes filles à la peau rose et ferme, au corps harmonieux et même ravissant, et moi, ben je vieillis. A la fois je suis fière et heureuse de les voir s'épanouir, et à la fois, ça me renvoie à mon vieillissement et c'est difficile. Et tranquillement je vais m'y faire.
L'autre chose difficile c'est de rester au seuil de leur chambre. C'est ma vie Maman. Arriver à l'entendre, à le respecter.
La création m'aide à métaboliser tout cela - leur éloignement progressif, nos corps côte à côte que même sans le vouloir on compare. Lorsque je dessine ou j'écris, ou que j'anime une formation, je ne suis plus leur mère mais juste cet être dessinant, écrivant, animant. Et c'est juste. Et c'est bon ensuite lorsque je m'extrais de ma séance de peu-importe-ce-que-je-suis-en-train-de-faire, je reviens à elles, et nous sommes heureuses de nous retrouver quelques instants ou plus longtemps.
Oh la la, ce que ça me touche ce que vous dites-là ! J'en ai la gorge nouée ...
Rédigé par : Sophie | lundi 28 janvier 2019 à 18:46
Comme Sophie, très touchée, avec un mélange de tendresse et de dureté, où je reconnais exactement ce qu'est en train de devenir ma relation avec ma préado plus si pré que ça.
Rédigé par : mmarie | lundi 28 janvier 2019 à 19:43
Magnifique message.
Une déclaration douce et belle, des mots sans concession aussi.
L'amour... c'est le ciment des relations, même si on s'éloigne un peu, on sait toujours où, quand et comment revenir.
Des bécots Maman Christie ;)
Rédigé par : Cloudy | lundi 28 janvier 2019 à 20:28
Merci Christie
Rédigé par : marianne | mardi 29 janvier 2019 à 09:46
C'est quelque chose, la relation mère-fille. A 17-18 ans, même si ça se passe différemment de comme ça s'est passé pour toi, on arrive de toute manière au moment où il faut bien que la relation se transforme : où on n'est plus dans un rapport d'adulte à enfant (ou d'enfant à adulte) mais d'adulte à adulte (tout en restant la mère et la fille, avec tout le passif que ça implique !).
Je crois que cette transition est toujours délicate à gérer... Quand je me posais la question d'avoir ou pas des enfants, j'avais l'impression que TOUTES les mères finissaient connes ou folles ou les deux (tandis que curieusement les pères étaient épargnés...) et que la relation avec leurs filles adultes était un truc difficile à réussir.
Bon, finalement j'ai tenté le coup quand même. Et je suis très curieuse de voir ce que ça donnera !
(seigneur, je me relis et c'est une série de portes ouvertes que j'enfonce. Bon tant pis, je laisse !)
Rédigé par : Milky | mardi 29 janvier 2019 à 12:46