Mes chéries-chéris, petite rupture dans la liste des "comment me rendre utile ?" ; l'atelier d'écriture d'Emmanuel Bing (accessible en ligne pour nous les réguliers du mardi mais il y a aussi une proposition pour les nouveaux arrivants, regardez voir si vous aimez écrire, ce type est un king ! par la pertinence de ses propositions et la justesse de ses retours). Bref mardi il nous a fait une proposition sur l'amitié, et pour la première fois depuis des lustres 1. j'ai écrit mon texte au clavier (je vais peut-être poursuivre c'est quand même plus simple même si moins poétique) et 2. il ne parle pas de sexe ou de mort ou de dégoût, hmm le fond de mon âme est aussi ragoutant qu'une bonde de lavabo, bref je me sens de partager cette histoire ici.
Bons baisers de loin mes trésors.
Natacha et le purpura rumatoïde
Dans la vie si j'aime quelqu'un, c'est Natacha. J'aime. Ses grands yeux d'un bleu un peu gris, ses joues rebondies, son rire un peu, un peu... enfin, chaleureux et joyeux mais en dessous duquel je sens aussi la fêlure, j'aime chez Natacha sa grande intelligence, j'aime son corps, ample, qui semble plus solide que le mien.
Natacha n'est pas venue au collège aujourd'hui. Le goût des journées sans Natacha, ben... autant ne pas y aller, au collège. Rien d'intéressant ne s'y passe quand elle n'est pas là. Aussitôt rentrée à la maison, je me rue sur le téléphone (34 60 17 62, je connais son numéro par cœur depuis le temps !! on se côtoie depuis la Grande section, mais on se détestait, on est devenues amies en CP et c'est ma meilleure amie depuis le CE2. En CE2, nous n'étions pas dans la même classe, Natacha était trop fière d'avoir la maîtresse heureuse gentille et dynamique - moi j'avais l'acariâtre dépressive à 6 mois de la retraite - mais nous étions dans le même groupe de caté, à vrai dire nous formions un groupe à toutes les deux ! Les cours étaient le mardi soir, soit c'était ma mère qui nous les donnait, soit la sienne, ce qui fait que nous dormions l'une chez l'autre presque toutes les semaines. Et c'était la java, je peux vous le dire !
De meilleure amie, je ne sais pas si je suis la sienne, en revanche. Depuis notre entrée en 6ème, une nouvelle est arrivée, Ariane. Blonde, lumineuse, indépendante. Natacha a tout de suite été attirée, aimantée par elle - je la comprends d'ailleurs, moi aussi je l'aime bien Ariane, ce serait juste plus simple si elle ne me piquait pas ma meilleure amie. Quand Natacha se met à côté d'elle en classe. Quand j'apprends qu'elles se sont vues sans moi pendant le week-end. Quand je les vois se sourire, se parler en aparté. Mon coeur se décroche. J'ai l'impression que je vais mourir. Et je fais la gueule à Natacha pendant au moins deux heures).
- Ben Natacha, qu'est-ce que t'as ? pourquoi t'étais pas là à l'école ?
En fait c'est la maman de Natacha, Elisabeth, qui a décroché ; et elle ne veut pas me passer Natacha. Elle ne m'aime pas tellement, Elisabeth, elle trouve que j'accapare sa fille, que je fais des histoires.... - Natacha a des plaques rouges sur tout le corps, m'explique-t-elle d'une voix sèche ; des plaques qui la démangent énormément, et une fièvre qui ne baisse pas. Elle se plaint aussi de courbatures. Le Docteur Borie est venue tout à l'heure, on va faire des analyses pour savoir ce qu'elle a. - Ok, ok, je réponds. En attendant, j'ai pris ses devoirs, je peux les lui apporter ?
A l'autre bout du fil, Elisabeth hésite. - Tant qu'on ne sait pas ce qu'elle a, ce n'est pas très prudent... Et puis, elle est peut-être contagieuse !
Attraper la maladie de Natacha, moi, je m'en fous. Au contraire ! Ce serait plus marrant d'être malade en même temps. Evidemment, je ne peux pas dire ça à un adulte. Je louvoie : - Ecoute, de toutes façons j'ai pris ses devoirs, donc je peux toujours les apporter dans la boîte aux lettres.
Elle a l'air rassurée que je n'insiste pas pour voir Natacha. Elle ne sait pas que. J'ai un plan.
Je préviens ma nounou que je sors, et hop, direction le 2 square Courvoisier. Je dépose la grosse enveloppe avec les leçons du jour et les devoirs, et un petit mot, dans la boîte aux lettres des Philipon, puis je fais le tour de l'immeuble et me poste sous les fenêtres de mon amie. Bah oui, à force de dormir chez Chacha, je connais la topographie des lieux !
- Natacha, je crie à mi-voix. Natacha !
Pas de réponse. Je crie un peu plus fort : - Natacha !
La fenêtre s'ouvre. La tête d’Elisabeth apparait ! - Natacha dort, m'articule-t-elle. Et elle est trop fatiguée pour se lever. Tu as apporté les devoirs ?
Je fais oui de la tête.
- Merci. Bon, de toutes façons aujourd'hui elle ne pourra pas y touchée, elle est sonnée par son truc. Tu lui téléphones demain pour prendre des nouvelles ?
Je fais oui de la tête, et je tourne les talons. Le temps va me sembler long sans Natacha.
Deux jours plus tard, sur mon insistance, Elisabeth me laissera aller lui rendre visite. - Tu dis bien à tes parents qu'elle a un purprura rumatoïde, et que c'est potentiellement contagieux ?
(Tu parles que je ne leur ai pas dit ! Mais Elisabeth a fini par demander à parler à Maman, et elle le lui a annoncé elle même, mais Maman n'a pas trop essayé de m'empêcher de voir Natacha ; enfin, elle a un peu protesté au départ mais elle a vu que j'étais déterminée comme je le suis rarement et elle m'a dit - Bon d'accord, vas-y, mais ne reste pas trop longtemps. La mère d'Ariane en revanche, qui couve sa fille comme un trésor, n'a pas laissé Ariane braver la contagion. Ce qui fait que pendant les six semaines qu'ont duré la maladie et la convalescence de Chacha, je l'ai eue pour moi toute seule.)
Au début elle était bien claquée, bien molle dans son lit, toute rouge. Pi au bout de quinze jours elle a retrouvé du poil et là. Ça a été un festival, tous les soirs à cinq heures, je me ruais chez elle après le collège et je goûtais avec elle et lui racontais toutes les histoires du jour, ce ridicule Monsieur Caputto notre prof de maths si laid avec sa peau grasse, mais il explique bien ; Monsieur Legrand, notre prof d'histoire, un peu précieux ; et les garçons, Sylvain, Boris, Nicolas, Thomas, Stéphane, Matthieu, ah, Matthieu...
C'était bien quoi. C'était parfait. Je jubilais encore plus qu'Ariane, elle, ne venait pas. Quelle chochotte ! quelle amie de pacotiile ! Et elle a appelé Natacha une fois, - Une seule fois, tu te rends compte !
Modestement, je n'ai pas relevé.
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