Bonsoir ma chérie. Trop top cette première journée de formation. Que je suis heureuse de reprendre...
Hier soir, j'ai écrit cette histoire. Je te souhaite une bonne lecture.
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Il y a ce garçon au fond de la classe, ce garçon aux boutons sur le visage et aux cheveux presque crépus, un peu trop longs, ce garçon au pull bleu baleine sous lequel pointait une chemise bleue aussi, à carreaux. Ses grands cils, son regard doux dessous ses lunettes à montures vertes, à verres épais. Ce garçon je sens sa présence dans mon dos, son regard sur ma nuque. De temps en temps je me retourne, mes yeux croisent son regard doux.
Il est 9 heures du matin un lundi et nous attendons Monsieur Desmazière notre professeur d'histoire économique. Le cours devait commencer à 8h25, Monsieur Desmazière est fréquemment en retard de 10 minutes, parfois un quart d'heure, mais une demi-heure ce n'est pas dans ses habitudes. - Bon, Ivan, tu vas voir ce qui se passe ? Ivan, le délégué de notre classe HEC1B, le gars le plus prétentieux que j'aie jamais rencontré, un prince russe à la mèche beige qui lui tombe devant les yeux, consent à remonter le couloir en direction du bureau de Monsieur Fumet, le préfet des études de nos classes prépa. Au bout de cinq minutes, il revient - Non, Desmaze n'a pas téléphoné. Fumet nous demande de rester à nos places et de réviser pour nos colles de demain soir.
Certains d'entre nous ont déjà sorti leurs cahiers et leurs fiches depuis 8 h 35 ; ils replongent la tête dans leurs révisions. D'autres, dont je fais partie, préférent échanger avec leurs voisins des blagues et des dessins et les récits du week-end, enfin, du samedi soir et du dimanche. Je suis assise entre Martin et Violaine. Je fais mine de ne pas remarquer qu'ils se draguent derrière mon dos. Officiellement on est copains tous les 3, à égalité. De temps en temps je jette un oeil au quatrième rang. Le garçon a la tête penchée et je ne vois que sa touffe de cheveux, le haut de son corps qui s'agite légèrement. J'en déduis qu'il dessine des visages sur son cahier d'éco. Un jour, il me les a montrés. Des visages d'enfant étonnés, des silhouettes d'homme à la fois evanescents et cubiques, esquissés au stylo bille.
10h15. Le cours qui devait durer 2 heures, se termine officiellement dans 10 minutes. La porte de notre classe s'ouvre. Monsieur Desmazière entre d'un pas pesant qui n'est pas son pas habituel. Son bras gauche est pris dans une écharpe blanche, une écharpe médicale. Sa main est bandée. Sous son blazer bleu marine, sa chemise blanche est froissée. - Pardonnez-moi les enfants, nous dit-il d'une voix lasse qui là encore tranche avec son énergie coutumière. - J'ai dû faire un détour par le dispensaire...
Le dispensaire. Comme il parle cet homme. Il se croit toujours un peu au 19ème siècle. Pourtant à la louche, il est âgé de 40 ans, à peine. -Qu'est-ce qui vous est arrivé, Msieur ? s'enquit Martin.
Notre professeur hésite. Il baisse la tête. Il se lance. - Hé bien, c'est un peu ridicule.... Je ne sais pas si je dois... Bon, après tout, je peux bien vous le dire... Voilà l'histoire. J'étais dans le métro, à la station Trocadéro, je prends l'escalator pour remonter à la surface. Cela faisait quelques semaines que l'un des boutons de mon blazer ne tenait qu'à un fil. Quelques mètres avant l'arrivée en haut de l'escalator, je m'aperçois que je l'ai perdu, qu'il est est tombé sur l'une des marches de l'escalator. Alors, je me suis baissé pour le ramasser mais le bouton était coincé dans l'une des raignures de la marche. Le temps que j'arrive à le décoincer, nous étions arrivés en haut... L'un de mes doigts s'est retrouvé coincé entre la marche et la barre de seuil de l'escalator. Un passager a appuyé sur le bouton rouge pour arrêter le mécanisme, mais le mal était fait. J'ai perdu un petit morceau de doigt...
La sonnerie marqua 10 h 25. Nous avons théoriquement droit à une récré d'un quart d'heure, mais personne ne songea à quitter sa place. - Voilà, je suis venu pour vous prévenir de ce qui se passait. Je vais rentrer chez moi me reposer à présent, nous dit notre prof, dont le visage en effet est aussi blanc que sa chemise.
Il sort. Nous restons un instant interdits. Puis sortons bruyamment nous ébrouer dans le couloir.
Derrière moi, la voix mélodieuse, grave, du garçon, me propose - On sort ? j'aimerais bien t'offrir un café, au comptoir, si on se dépêche on a le temps, avant le cours d’Allard.
Je me retourne, je lui souris. - D'accord. Viens, grouille.
Et nous partons en courant.
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