Mon amie Virginie hésitait à confier ses enfants à ses beaux-parents. Le grand-père s'énervait pour un rien contre la petite ; la grand-mère s'écharpait avec le grand - chaque aïeul s'énervait contre l'enfant qui lui ressemblait le plus. Virginie, je lui ai dit, Confie-les quand même. Les grands-parents ne sont pas parfaits, ils n'aiment pas les enfants de la manière dont tu les aimes, et tes enfants ont davantage à gagner à se frotter à ces grands-parents imparfaits et à baigner dans l'ambiance familiale, que d'en être privés.
Je parlais d'expérience, bien sûr ; je parlais de moi.
Lorsque Maman nous confiait à ses parents, quinze jours à Pâques ou une semaine l'été, je le savais - que je ne recevrais pas de compréhension, pas de câlins pendant quinze jours, ou une semaine. Je le savais, que j'allais me faire gronder à la moindre occasion, sans comprendre pourquoi, que j'allais être houspillée souvent injustement - en tout cas je le percevais comme tel, injustement. Mon Cher, son père, mon grand-père, régnait en maître, que dis-je en maître, en despote, sur ses deux hectares de jardin de terrain la haie de cupressus la maison la maisonnée sa femme Gil et nous les mioches qui avions le bonheur d'être dans ses petits papiers (il en choisissait un par famille) ou le malheur de ne pas y être.
Parmi les deux enfants de ma mère, il avait choisi mon petit frère - le doux, le blond, l'agile. Bon c'était facile, mon frère, tout le monde l'aimait (sauf l'une des soeurs de Maman qui avait eu des filles et aurait peut-être bien aimé avoir un fils aussi génial que mon frère ? oui, même MOI je ne pouvais pas me retenir d'aimer mon petit frère).
Alors je répondais, je protestais, je négociais - Mon Cher, ça ne lui plaisait pas du tout. On aurait dit qu'il avait envie de me chasser d'un geste de la main, comme il aurait chassé une mouche. Parmi les enfants d'une autre soeur de maman (Mon Cher et Grand Mam, Jean et Gil ont engendré 8 enfants, donc à la génération d'en dessous ça en faisait des mioches, même si u monde), ma cousine Maribé, de 6 ans ma cadette, n'était pas la chouchoute non plus. Du haut de mes 12 ans, je faisais front - protégeons Maribé. Cet été là je m'en suis pris encore plus plein la gueule par mon grand-père - car en plus de protester pour la défense de mes propres intérêts, je m'étais improvisée syndicaliste.
Mon Cher avait une passion (en plus de passer toute sa journée dans son jardin - ce qui, je le comprends aujourd'hui 40 ans plus tard, s'apparentait plutôt à un esclavage !) - c'était faire des confitures de mûres. Il adorait les mûres. Et nous nous adorions la tourte que préparait Grand-Maman, la tourte aux mûres. Mon Cher avec nous est un peu coincé, car nous réclamons d'aller tous les après-midis à la plage, hors lui s'il nous amène à la plage, ne peut pas jardiner... Tout ce temps perdu.. Bref de temps en temps il a recours à un stratagème, Les enfants, allez cueillir des mûres, Grand-Maman vous préparera ce soir une tourte aux mûres. (Bon ce qui était bon dans cette tourte c'est toute la crème fraiche qu'on mettait autour).
Ni une ni deux, je m'habille pour l'occasion (même en plein mois d'août les mûres se cueillent en pantalon et t-shirt à manches longues, et en bottes, pour pouvoir atteindre celles qui sont loin sans se faire déchiqueter la peau par les ronces). Mes cousins de 4 et 5 ans Maribé et Pierran partent en short t-shirt et sandalettes, équipés d'un saut, hum, je leur laisserai les mûres faciles d'accès.
Nous revenons une heure plus tard, leur saut est vide, leur bouche est violettes, ainsi que leur t-shirt. Mon saut à moi est rempli aux deux tiers, - Y'a de quoi faire une tourte déclare Grand-Maman, et vous les petits vous ne ramenez pas de mûres ? - Non, on n'en a pas trouvé ! mentent les petits effrontés. Bon ça fait rire mes grands-parents, moi je les regarde un peu méprisante, ces cousinous qui ne valent pas tripette à la cueillette de mûres.
La tourte est délibonne en tout cas, et parfaitement nappée de crème fraiche.
40 ans plus tard on est toujours heureux, Maribé, Pierran et moi, de se retrouver sur l'une des 58 plages de Belle-île ; et on parle, et on bitche, eux en surveillant leurs gaminous et moi en brodant ma broderie de l'été sur mon grand sac de plage ; ou de siroter (le soir venu) un ti punch en souvenir des années martiniquaises de Mon Cher et Grand Mam... qui ont ramené avec eux le goût du rhum... et nous l'ont fort bien transmis.
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