Quand Grand-Maman est morte, en.2007... quand ses fils, mes oncles, ont décidé de vendre le domaine de mon grand-père - notre royaume, redevenu celui des fils de leur père par la voie de l'héritage - ma tante aînée a acheté sa maison à Belle île, et les deux filles, ma mère et sa grande soeur pas l'aînée, ont commencé à louer une maison, en juillet. Le fils de nos voisins de Bordustard avait acheté avec sa femme, sa propre maison à Bordustard un peu loin sur la route vers Palais - c'est celle là que louent mon oncle et ma tante chéris ; celle là à laquelle je retourne souvent, pour un dîner, pour une fête. Bref, même si Maman et moi "habitons" à présent une maison de pêcheur, une maison sans jardin, sans royaume, à Keroyan, je passe souvent par Bordustard.
Ces visites fréquentes à mon oncle, à ma tante, à ma cousine chérie, à ses fils, me donnent l'occasion de voir ce qu'est devenu le domaine de Mon Cher.
Je ne sais pas à quel point Mon Cher et Grand-Maman appréciaient Luce, la voisine. Mais je me souviens la joie qui illuminait les yeux de mon grand-père, et ceux d'Hugues, quand il se retrouvaient sur la place commune où démarrait leur maison. La petite maison d'Hugues et Luce, blanche, basse, avec ses volets bleus azur, était et est toujours ma maison de rêve à Belle ile. L'escalier est extérieur ! le jardin, derrière, est tout petit - mais suffisant. La maison d'Hugues et Luce est directement sur la place, celle mes grands parents un peu plus protégée par la cour du jardin et la haie d'escalonias mais on se croisait souvent. Hugues et Luce avaient eu non pas 8 enfants comme Mon Cher et Grand Mam, mais 6 ce qui faisait déjà du monde au niveau de la marmaille ; mes cousins et moi avons joué à la chasse à l'homme avec les plus grands de leurs petits enfants, et on a trouvé les plus petits d'autant plus mignons que ce n'était pas chez nous qu'ils faisaient leurs colères ni l'apprentissage du pot ni passé des heures à mastiquer un bout de viande qui refusait d'être avalé.
C'était beau leur amitié à Mon Cher et à Hugues. Je sentais qu'elle les consolait, qu'elle les reposait de toutes les pesanteurs de leurs vies. La conjugalité. La marmaille. Les maisons à porter (et dans le cas de Mon Cher, l'immmmmmmense jardin qui réclamait en permanence). Les erreurs du passé, peut-être. Ils se regardaient. Ils souriaient. Ils riaient. Ils se comprenaient.
L'autre jour en passant par le chemin de terre qui menait à cette place, à la place d'Hugues et Jean, j'ai vu que ce chemin qui n'avait jamais eu de nom, s'appelle à présent Chemin du tour de pré. Et que notre domaine, qui n'est plus notre domaine, a désormais un portail et un numéro. La haie d'escalonias a disparu. Les cupressus, y'en a moins aussi. Je me souviens de cette fête, était-ce pour les 70 ans de mon grand-père, moins d'un an avant sa mort ? Cette fête où Hugues avait offert à son accolyte une plaque bleue ciel, sur laquelle il avait écrit à la craie Place du Colonel Jean Reboul. Et nous l'avions posée, cette plaque, au centre de la place, contre le mur du cagibi des voisins qui est aujourd'hui une maison habitée par des inconnus (comme le sont toutes les maisons de la place).
- Bon Mon Cher je ne sais pas comment poursuivre cette histoire !
- Ouais, c'est pas terrible je m'attendais à mieux.
- Toujours sympa le granps !
- Ne sois pas insolente. Et t'inquiète pas, ça va aller en s'améliorant. Continue à écrire.
- Ouais ben lundi alors. Et une autre histoire.
- Ok, OK. A laquelle tu penses ?
- Et si je racontais la fois où Pierre a tenté de me noyer ?
- Ah direct. Quand tu me parles de noyade, ça me rappelle tous ces après-midis où vous me taniez toi et tes cousins, pour que je vous emmène à la plage, à Donnant, et je finissais par laisser mon jardin, je vous entassais dans la BX et nous allions à Donnant par le côté gauche, nous arrivions par la grande plaine verte et vous courriez comme des fous. Puis je passais tout le temps de la baignade à craindre qu'une vague ou un courant ne vous emporte...
- Et tu avais raison de le craindre. Tu ne les as pas connus, mais tu sais que Gabriel et Clara ont failli se noyer ?
- Oui, j'ai vu ça...
- Bon, mon histoire à moi se passe dans une piscine. Je te la raconte lundi, promis.
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