Tout à l'heure, en allant chez Ikéa, nous sommes passées devant l'université Dauphine en voiture. Je devais choper l'A13 porte d'Auteuil, il y avait des travaux, je me suis trompée de sortie, bref, je suis passée devant Dauphine.
Malgré moi, j'ai marmonné à Alma, assise sur le siège passager Tiens, c'était l'université de Philippe...
J'ai arrêté de fréquenter Philippe 10 ans avant la naissance d'Alma. Pardon. Philippe a jeté l'éponge et m'a déclarée infréquentable, 10 ans avant la naissance d'Alma. Le pire Philippe c'est que lorsque tu m'as annoncé, de ta voix douce, Je ne t'appellerai plus - j'ai trouvé que tu avais raison. J'avais été trop loin, dans l'absence de souci de toi, en te filant ce lapin de plus. Ma tendresse pourtant était grande mais ça ne te suffisait plus, et puis elle était atténuée et rendue presque sans valeur, par le souci extrême que j'avais d'un autre garçon, qui ne me regardait plus - et qui 10 ans plus tard, fut quand même le papa d'Alma, et de sa grande soeur avant elle.
Mais bien avant cela. En classe de Terminale j'ai pris l'option maths renforcées. Il parait que ça aide pour entrer en prépa HEC, ou dans les filières sélectives - c'est bon pour les notes au bac, c'est bon pour le dossier. D'habitude, j'aime bien les maths, mais le prof qu'il nous ont collé est très jeune, encore étudiant à la fac, si peu sûr de lui qu'il surjoue la compétence - en maths sans doute qu'il touche sa bille mais en pédagogie, il n'y connait rien. L'option est coûteuse, 1h30 par semaine le mardi soir, de 17 h à 18 h30, avec le trajet en plus, le car à l'heure de pointe, je suis à la maison vers 19h45, 20 h.
Dès le premier cours j'ai des gros doutes sur l'utilité du prof, au second cours je sais que l'option ne servira que pour faire joli sur le dossier. Tout ce temps de perdu, déjà que je n'aime pas être au lycée...
Heureusement dans la classe il y a Philippe. Nous étions copains en première, enfin, j'aimais bien ce garçon doux ni grand ni petit, ni gros ni maigre, ni beau ni laid. Il me reposait, j'aimais son sourire, la lueur dans ses yeux. Et puis cette année nous ne sommes plus dans la même classe - sauf pendant l'option. Nous nous sommes mis à côté, n'étant "amis" avec personne d'autre dans cette option de mathématiques vespérales. Lui aussi est déçu, pas autant que moi, d'abord il habite moins loin du lycée, et puis il n'a pas un rapport aussi affectif avec les profs. Mes questions rentre dedans et mes remarques acerbes prononcées sotto vocce, le font rire. Bref on commence à s'échanger des petits mots, et une fois le cours terminé, tiens ça passe plus vite quand on s'échange des blagues écrites, notre conversation de crayon à papier se prolonge à l'oral tout le long du trajet vers l'arrêt de mon car.
Et commence à se prolonger la conversation, de retour à la maison puisque - je ne peux pas louper mon car, et donc tout ce qu'on n'a pas pu s'écrire pendant le cours ni se dire pendant le trajet, on se l'écrit le soir, une fois revenus chacun chez soi. C'est fou comme tout d'un coup on a des choses à se raconter. Le matin nous nous échangeons des enveloppes, ton écriture au stylo plume bleu est régulière, petite, affectueuse.
Je deviens. Tu deviens. Nous devenons au fil des cours de maths, attendus à présent avec impatience, au fil des lettres, au fil des récrés où nous nous retrouvons, des amoureux platoniques. Platoniques, parce que, même si toutes mes pensées vont vers toi, il y a quelque chose dans ton corps un peu trop mou... dans ta voix un peu trop flûtée... dans ton odeur un peu trop douce, de la lessive qu'utilise ta maman pour laver tes t-shirts. Quelque chose qui m'empêche d'aller avec toi plus loin que les lettres.
Et puis un jour - tu m'as tendu une nouvelle lettre, je la lis comme souvent bien calée dans le siège en velours du car qui me ramène à la maison - cette phrase de ton écriture bleue me saute à la figure. "Avec toi, l'éjaculation n'est que tendresse."
C'est là que je comprends, que tu me dis à mots couverts, mon doux ami Philippe, qu'en pensant à moi parfois tu te.
Nan.
Vite vite, je fourre la lettre dans mon sac à dos. J'ai l'impression que tout le monde dans le bus a pu lire ce que tu as écrit. Mes joues me brûlent.
C'est une information que je ne suis pas prête à recevoir.
A la fois elle m'excite, et à la fois elle me dégoûte. Et aussi ça me touche que tu me racontes, que tu me fasses confiance au point de me raconter ça.
Bon mais aussi, je me demande ce que tu veux qu'il se produise, ensuite ?
... Ensuite, ce sont les vacances de février. Je pars en vacances à la montagne, avec mes parents. La première semaine, j'écris tous les jours à Philippe, il m'écrit tous les jours, je dors avec ses lettres. La seconde semaine, mon amie Mélina me rejoint. Dans l'immeuble il y a des amis à elle, avec leurs amis à eux, toute une bande de garçons. Nous skions avec eux toute la journée. Je tombe amoureuse de Stéphane.
Ma correspondance avec Philippe s'arrête tout net.
Nous sommes redevenus amis, par la suite, après que Stéphane m'aie quittée du soir au lendemain, sans que je comprenne bien sûr.
Mais notre amitié s'est poursuivie sur un mode atténué, dénuée de cette excitation, le robinet d'élan l'un vers l'autre coulait à présent au goutte à goutte. Jusqu'à ce jour où, dix ans avant la naissance d'Alma, tu es venu me voir sur le campus d'HEC et je t'ai à peine parlé, à peine écouté, obnubilée que j'étais cette fois encore, par un garçon qui n'était pas toi.
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