Hush et moi prenons nos quartiers de matinée dans la forêt de Meudon. Je suis adossée à un châtaignier (toujours du mal à orthographier cet arbre) au tronc bien droit, face à une clairière à l'herbe pelée, une énorme clairière idéale pour les grands jeux scouts type tèque ou ballon prisonnier soudain j'ai une bouffée de nostalgie pour mes années de cheftaine de Jeannettes, le temps joue au yoyo dans ma tête ce matin, Chimène vient d'obtenir son bac et je pense à sa salopette osh kosh taille 1 an que j'avais mis à sécher sur le pare feu de la cheminée dans la cuisine du chateau d'une amie, oui à l'époque j'avais des amis propriétaires de chateaux, la salopette avait cramé et je le regrette encore.
J'ai repêché au fond d'un sac le carnet bleu, celui de l'écriture de mon livre. Lorsque je l'ai refermé pour la dernière fois, il y a 10 jours, j'étais confrontée à "un grave problème" : j'avais trop d'idées, chaque minute consacrée à penser à mon livres me donnait l'idée d'un nouveau chapitre. Cet état d'idéation me faisait un peu peur (y'aura trop de chapitres à la fin ! ) et me ravissait, et à la fois je pensais Ça va pas durer, ça va pas durer... Sans trop y croire, puisque les idées naissaient comme des champignons après la pluie. Bon ben. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais c'est passé. L'état de grâce m'a quittée - provisoirement j'espère. Je feuillette le carnet - Ami, viens à mon secours, elles sont où les idées géniales ?
Je repense à cette histoire qu'aimait raconter Hitchcock sur les idées et le travail. Au beau milieu de la nuit, l'inspiration le visite - une idée fantastique pour un film. De sa main droite endormie, il chope le carnet qu'il a toujours à côté de son lit, le stylo marque la page, et il note frénétiquement dans le noir les premiers mots du scénario qui lui vaudra l'Oscar. Paf, il peut se rendormir, l'idée est consignée en lieu sûr. Le lendemain, première chose qu'il fait, il ouvre son carnet... et sur la page marquée par le stylo il voit écrit Un homme rencontre une femme...
10 jours sans écrire (mon texte), et voilà où j'en suis. Je me souviens de mes filles lorsqu'elles venaient de naître, de l'impression mêlée que j'avais de leur grande vulnérabilité et de leur grande solidité - fallait pas en laisser tomber une, ni mal ou trop couper un ongle de la main, et ces petits doigts minuscules, et à côté de ça tout fonctionnait parfaitement et en particulier l'immense désir de vivre et de découvrir le monde. Hé bien, l'écriture, mon écriture, me fait le même effet, à la fois rien ne peut la déraciner et en même temps l'atteler, m'atteler à un projet précis... J'ai besoin de rassembler toutes mes forces et ma détermination. Je n'en manque pas, tu me diras. Et c'est plus facile lorsque j'ai des alliés. Des premiers lecteurs qui me réclament la suite. Et c'est encore plus facile lorsque j'ai un contrat. Alors tu vas me dire, L'écriture est-elle toujours supposée être facile ? Et je vais te répondre que non, pas toujours... Et c'est bien qu'elle le soit parfois, facile, que parfois elle coule, aussi fraiche et désaltérante que le thé brûlant du thermos.
De quoi ai-je besoin pour soutenir mon projet de livre ? D'abord, j'ai besoin que ce projet me donne quelque chose - le plaisir de jouer avec les mots, de développer des idées, de raconter une histoire. Etre posée quelque part à écrire. En vrai, une commande d'un éditeur m'apporterait du confort (de l'argent, un délai, la certitude que le livre sera accueilli, un premier interlocuteur) - et avec ou sans commande, j'ai besoin de me donner une règle : c'est-à-dire, de fixer un rapport "quantité de travail fourni en un temps donné". A chaque fois ce point prend quelques semaines à trancher : de quelle mesure mon livre a-t-il besoin pour aboutir dans un temps juste ? de quoi suis-je capable - sur quelle quantité d'écriture quotidienne ou hebdomadaire puis-je m'engager, histoire d'avancer sans m'épuiser ou au contraire sans que le temps s'étire de manière démotivante ?
L'année dernière (j'écrivais le livre sur le Kaizen), j'avais un délai de rendu fixé par une date souhaité de sortie. C'était mathématique, j'ai divisé le nombre de jours qui me restaient avant la date de rendu, par le nombre de chapitres qui me restaient à écrire. Le calcul m'a dit "Ecris un chapitre par jour, sauf les jours d'animation ou de voyage". Il y a 5 ans, j'écrivais Aujourd'hui je choisis la joie, je n'avais pas de délai venu de l'extérieur et j'écrivais le livre au milieu de plein d'autres choses, alors la règle a été "Ecris 5 minutes par jour, 5 jours sur 7 - au moins." Et le livre s'est écrit, pas à coups de 5 minutes, mais lorsque je n'avais que 5 minutes à y consacrer alors le fil n'était pas dénoué, le flambeau du jour d'avant allumait le flambeau du jour d'après.
Et pour toi mon nouveau petit ? Ce sera quoi la règle ? Je vais chercher. Je vais trouver. Ce sera vachement plus facile quand j'aurai trouvé, parce qu'alors je ne me poserai plus la question "j'écris ou j'écris pas aujourd'hui, j'ai envie ou j'ai pas envie, j'ai l'inspiration ou j'ai pas l'inspiration ?" J'écrirai, point. Et pour l'inspiration et l'envie on verrait en route !
Crotte, un drone vole au dessus de la clairière. Bruit persistant de moustique qui met Hush aux aguets et me donne mal à la tête. Envie de laisser mon chien courir exploser l'engin. J'espère qu'il ne me filme pas. Comment en être sûre ?
Bon. Bon bon bon. L'histoire mûrit doucement. Je ramasse trois morceaux d'emballages en plastique qui vexent mon oeil au milieu des feuilles sèches et des bouts de bois, et me dis que cette histoire de rapport quantité / temps, c'est peut-être aussi une histoire d'espace. Ou peut-être pas. Ou peut-être que si, quand même, car les monastères, dans leur dépouillement - rien ne vient fâcher l'oeil.
Affaire à suivre - mais à suivre vraiment ! car l'écriture est la seule matière dont je sois à peu près sûre. Et si peu sûre ! Et c'est ça qui me porte, le mélange de certitude (je vais écrire) - incertitude (je ne sais pas quoi, ni vers quoi).
Bonne journée, ma chérie-chéri !
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