Le Monde a donc retranscrit des passages douteux d'une interview d'Alain Finkielkraut au Haaretz. Comme le dit Gilles Klein, il eût été sage, pour le monde, de pointer vers la source originale de l'article (malgré les discours visionnaires de Bruno Patino, la réalité d'un quotidien est sans doute complexe à transformer). Evidemment, cette publication a été amplement commentée et répercutée.
Bref. Finkie présente ses excuses aujourd'hui. Evidemment complexes, mais qui précisent sa pensée. Aounit a promis un procès. Et nous voilà dans le bon vieux débat sur l'antisémitisme supposé, la parano des juifs, les mésinterprétations données aux phénomènes des banlieues, etc...
En fait, quand on lit l'interview de Finkielkraut dans Haaretz, on y découvre un discours habituel du bonhomme : crise de l'éducation, avec la société qui est entrée dans l'école, aveuglement de la société et des media sur une réalité de haine de la France (en tant que pays occidental), qui est selon lui le vrai problème. Ce qui gène, ce sont quelques passages qui, effectivement, dévient : celui où il parle de l'équipe de France 100% black (qu'il faut sans doute prendre comme une réponse maladroite au joyeux modèle black-blanc-beur-tous-unis), et différents moments où il ne prend pas les pincettes nécessaires en citant "black people" ou "arabs".
Au-delà de ces passages, Finkielkraut continue dans sa veine de discours sur la menace de la schadenfreude de l'occident, de la haine de soi comme culture, de la honte de l'héritage colonial, et de l'échec de l'école depuis 68. Son passage sur le fait qu'il ne comprenne pas la haine des noirs à l'égard d'un Etat anciennement colonial, alors que lui-même aurait plus de raisons de haïr la France, qui a déporté ses grands parents et son père, est assez révélateur. Il le dit mal, tombe dans l'excès inverse (en parant uniquement le colonialisme de vertus), mais pointe un véritable sujet : pourquoi un djeunz d'origine africaine (pas tous) tombe-t-il dans cette détestation de l'occident, sur la base de son passé colonial, tandis qu'un juif (pas tous) n'aurait pas cette attitude, alors qu'il dispose en général d'un préjudice plus directement identifiable ?
Et c'est là que je tombe en désaccord avec Finkielkraut (pas sur le constat, mais sur une partie des raisons). Le passé de Vichy et la responsabilité de l'Etat français dans les déportations ont été documentées, expliquées, nourries. On sait. L'impact du colonialisme, en bien comme en mal, reste encore un sujet tabou, peu expliqué", débattu. On n'en parle mal. Il ne s'agit pas d'en faire l'apologie positive en classe, ni de verser dans le mea culpa permanent, tant la réalité du colonialisme et de la traite des noirs sont complexes. Mais l'équivocité du passé colonial, et notre difficulté à assumer une responsabilité dans des conséquences négatives du colonialisme sont aussi un élément de focalisation de la paranoïa. Enfin, telle est mon impression.
En somme, et Finkie en a le droit, il pense que le principal problème, c'est l'intégration de jeunes qui n'aiment pas leur pays. Il ne l'attribue pas à l'islamisme comme cause, mais a peur que la victimisation des jeunes de banlieues ne fasse qu'amplifier le problème. Il n'a pas complètement tort, et il ne généralise pas.
Comme il est dans la dénonciation d'un quasi tabou (la critique de la culture des banlieues, de son machisme, de sa culture de la victime de la société de consommation, l'expression de la peur face à ces nouveaux barbares haïssant la France sans s'en cacher), il tombe dans l'excès. So ?
Pour terminer, les extraits choisis par le Monde sont très partiaux, et créent des réductions. Témoin le dernier passage :
"Ils les aimeront encore moins en prenant conscience de combien ceux-ci les haïssent (...) Imaginons que vous gérez un restaurant. Un jeune vous demande un emploi. Il a l'accent des banlieues. C'est simple : vous ne l'engagerez pas, c'est impossible."
Les [...] correspondant à un saut de paragraphe clairement indiqué par le Haaretz, qui peut faire supposer une pause dans l'interview. Le Monde les rassemble en un seul, ce qui est trompeur. Par ailleurs, il manque, entre le "gérez un restaurant" et "un jeune vous demande un emploi", le passage suivant (non indiqué par les [...]) :
"and you're anti-racist, and you think that all people are equal, and you're also Jewish. In other words, talking about inequality between the races is a problem for you".
On voit bien ici des précisions, qui montrent que l'employeur potentiel est un anti-raciste. Finkielkraut précise ensuite que ce qui manque à ce jeune, c'est la langue.
La phrase "Ils les aimeront encore moins en prenant conscience de combien ceux-ci les haïssent" correspond à un passage plus long :
"Of course discrimination exists. And certainly there are French racists. French people who don't like Arabs and blacks. And they'll like them even less now, when they know how much they're hated by them. So this discrimination will only increase, in terms of housing and work, too."
Encore une fois, le sens est grandement altéré dans la citation réduite du Monde.
Alors, oui, Finkielkraut s'emporte, dérive quelques fois dans un discours ambigü et condamnable. On en a l'habitude, tant son énonciation de choses simples passe en permanence par l'emphase et la dramatisation. Mais le faire passer pour un raciste me semble simplifier outre-mesure ses propos, et contribuer à empêcher un débat sur le problème : comment on fait pour faire en sorte que ces jeunes se sentent bien en France maintenant ?
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